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011_grotte.nv
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Lumière ! Obscurité ! Lumière puis obscurité. Le type de la régie, emporté dans les sombres affres de ce cruel dilemme d'éclairage, ne sait plus quoi faire. Après avoir longuement considéré les deux options, il se décide pour la lumière, puisque l'obscurité n'a plus le droit de cité ici, sauf si elle est diplômée. Au-delà de ses préférences personnelles, il ne fait qu'appliquer l'inévitable principe de l'illumination choisie. Une pâle lueur blafarde éclaire donc faiblement la grotte silencieuse.
S19-5 marche lentement vers cette douce lumière, sans vraiment réfléchir à ce qu'il fait. Il repense à sa mauvaise journée d'aujourd'hui, sa mauvaise journée de la veille et envisage avec un fatalisme teinté de désespoir sa journée du lendemain, qui contrairement à toutes attentes, sera sûrement une mauvaise journée. Si sa situation n'est pas très positive, celle de sa communauté est encore moins brillante : il y a moins de travail, moins de nourriture, plus de corruption et plus de crimes. Mais le temps est une voie à sens unique, et on ne peut retourner en arrière pour aller y récupérer un meilleur taux de chômage ou une croissance supérieure à zéro égarés en chemin sans risquer une amende et un éternel égarement dans le continuum spatio-temporel, ce qui n'est guère encourageant car, même si avec des relations, on peut faire sauter la contravention, cela reste une démarche hasardeuse...
Comme pour ajouter à la morosité qui menace de le terrasser comme un koala dans une plantation d'eucalyptus transgéniques, le conseil des douze sages et demi a émis une prévision des plus pessimistes aujourd'hui. Il était à l'origine composé de treize fonctionnaires mais certains ayant perdu des membres dans un éboulement, tout le monde s'accorda pour admettre que douze et demi résumait mieux que treize la situation de ces invalides clopinant. Cela n'avait en rien entamé l'incroyable faculté du conseil à émettre tous les mois des prévisions alarmistes et catastrophiques qui une fois sur deux annoncent la fin du monde, détruit par la lame d'une tondeuse cosmique, succombant à une invasion de laitues carnivores venues de Guinée Équatoriale ou périclitant sous l'assaut incontrôlé de technocrates déguisés en père noël et prônant l'utilisation abusive de formulaires administratifs en tous genres. Les autres annonces du conseil consistent en des explications riches en détails sur le miracle surnaturel qui a résolu le problème sans que personne n'en sache rien. Et à chaque cycle, le prestige du conseil s'en trouvé rehaussé puisque seuls ses membres ont pu prévoir le danger.
Ce mois-ci, ces douze visionnaires et demi ont découvert que l'intégrité planétaire est mise en danger par un énorme hamburger stellaire, rempli de moutarde corrosive et qui fonce droit sur la grotte. Malgré toute sa bonne volonté, S19-5 dissimule avec peine son scepticisme derrière le masque de terreur qui sied à une annonce aussi effrayante d'autant plus que la méthode du conseil, basée sur l'observation des astres au cours du temps, lui semble quelque peu incompatible avec la vie dans une grotte sans ouverture sur le ciel.
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La pluie s'écrase sur le sol goudronné avec le bruit désagréable d'un corps qui se disloque après une chute de plusieurs kilomètres de haut. Certaines gouttes essayent désespérément de remonter pour retrouver la chaleur cotonneuse des nuages qu'elles viennent de quitter mais la gravité, cette sorcière démoniaque, semble prendre un malin plaisir à accélérer leur chute mètre après mètre pour que le choc soit le plus meurtrier possible. Au milieu de ce génocide aquatique, un homme marche, avec pour seul parapluie son chagrin, ce qui semble peu efficace au vue de son taux d'humidité. Une voiture l'éclabousse et en la regardant s'éloigner, il songe que le sourire mauvais de sa plaque d'immatriculation ne lui inspire guère confiance. En règle générale, il a toujours trouvé les longs assemblages de chiffres et de lettres plutôt louches, comme contre nature. Alors qu'il s'apprête à ouvrir le portail de chez lui, une vague de souffrance submerge Jack Rock. Il repense à toutes les souris qu'il a tuées sous le coup de la peur et sa vision vacille. Il finit par atteindre un canapé qui traîne négligemment dans un salon et s'affale dessus.